les dissections
Le bizutage continue. Après la première opération, le premier contact avec la mort, le week-end d’intégration, la première incision.
Ce matin là, les visages étaient crispés et dans les regards, on pouvait lire un mélange d’appréhension et de curiosité face à l’inconnu. Personne n’avait encore oser gravir les deux étages qui mènent au laboratoire d’anatomie. Les étudiants semblaient attendre que quelque chose se produise. Mais rien d’inhabituel n’arriva ce matin là. Le flot de P1 défilait inlassablement sur le trottoir, les plus vieux rentraient dans le hall d’un pas nonchalant après avoir écrasé celle qui serait là dernière cigarette de la matinée. La pluie tombait, le ciel était gris comme à l’accoutumée, à Nantes, les matins de septembre.
Plus que dix minutes, il allait s’y résoudre.
L’odeur qui inondait le couloir, semblait leur avoir ôté tout moyen de communication. Pendant que certains cherchaient à présent un moyen d’échapper à l’exercice, d’autre tentaient de se remémorer les cours d’anatomie qui à présent leur paraissaient bien loin, d’autres enfin essayaient d’imaginer l’allure de ceux qu’ils allaient rencontrer.
La porte s’ouvrit. Puis au fur et à mesure que l’assistant de laboratoire égrainait les noms chacun entrera dans la pièce.
Elle était très sombre. De lourds rideaux noirs pendaient aux fenêtres.
L’architecture de la salle ressemblait étrangement à celle d’une salle de classe ordinaire mais qui aurait dépéri avec les années : à droite, un grand tableau d’ardoise recouvrait le mur, au fond une drôle de bibliothèque abritait de nombreux manuels et bibelots d’origine énigmatique.
Mais à la place des tables de cours, trônaient de larges tables noires en marbre. Sur chacune, une bâche noire ne laissait dépasser que les pieds et les mains de ce qui attirait maintenant toutes les attentions. Les membres étaient fripés et d’une blancheur, extrême. Aperçu qui ne laissait rien préjuger de très rassurant.
Tout le monde reçu l’ordre de s’habiller et de se répartir aux différents postes.
En moins d’une minute, la scène était posée:
Six cadavres : trois hommes, trois femmes, étaient découverts, leur nudité laissait apparaître des corps métamorphosés par la mort. Une mort qui avait frappé, il a plusieurs mois, des années peut être.
A présent, ils étaient là, grâce au pouvoir du formol, racornis, secs, raides, gris, glaciales. Seul leurs têtes échappaient à cet étalage, cachées dernière des turbans blancs qui ne permettaient de deviner que des formes.
On n'aperçoit, le plus souvent des vivants que l’on croise, que leurs têtes, le reste est caché sous les vêtements qui laissent au passant tout le soin d‘imaginer ce qu‘ils dissimulent. L’image qu’il me reste aujourd’hui, l’image qui me vient à l’esprit quand on parle d’un mort et l’inverse, celle d’un corps qui ne laisse rien supposer, surtout pas son état, surmontée d’une tête sans contours, qu’il ne vaut mieux pas tenter de se dessiner.
Quatre blouses blanches en herbe par cadavre autour des néons qui éclairaient chaque table et l’exercice commença. Chacun muni de son bistouri et de sa pince, commença à étudier le sujet. D’abord avec beaucoup de précautions, de réserves puis avec de plus en plus d’assurance. D’abord sans y mettre les doigts, puis un première effleurement, une sensation glacée, puis tous les doigts, pour maintenir la peau. Très concentrés, minutieux et absorbés par la recherche de multiples structures anatomiques, les étudiants en avaient presque déjà oubliés le contexte.
Ce n’est qu’environ une heure après la première incision, que les esprits se dissipèrent. Les muscles maintenant bien atteints commençaient à ressembler à des charognes déchiquetées. L’odeur se fesait plus forte maintenant que les corps se réchauffaient et le formol qui coulait des nombreuses veines malenconteusement sectionnées, par les scalpel non expérimentés, brûlait les yeux.
L’annonce de la fin de séance ravit tout le monde, qui non sans s’être lavé les mains, au moins trois fois, quitta la salle sans traîner. L’odeur elle ne partit pas si vite de leur narines.
La matinée du lendemain, fut encore plus laborieuse. La curiosité passée, il ne restait plus que le dégoût de retrouver ces cadavres à moitiés entamés. L’odeur était devenue encore plus insoutenable, la nuit passée hors du « frigo » avait permis à l’odeur de mort de supplanter celle du formol.
Ils étaient à présent sur le ventre. Le nôtre, comme si cela ne suffisait pas, paraissait « moins mort » de ce côté. La peau était plus souple, il y avait encore du sang dans ses muscles. L’espace d’un instant je me suis surprise à imaginer qu’il puisse bouger.
Malgré la description un peu glauque que j’en fais, je n’ai pas été choquée, ni profondément dégoûtée par ces dissections. Une fois la surprise passée on se fait assez bien au contexte comme je l’explique.
Mais l’odeur c’est vrai est tenace.
En revanche, j’ai quand même dû être un peu marquée par ça parce que ça fait une semaine que la mort hante mes rêve. Je ne revois pas les dissections, mais je fais des rapprochements entre ce qui se passe le jour avec mes proches et la mort et ça c’est davantage troublant! Voilà je pense que j’ai la chance d’avoir pu réaliser cette expérience unique, qui n’est pas donnée à tout le monde (enfin tout le monde n’en veut pas non plus), et elle fut très enrichissante anatomiquement parlant.